Religion et politique en Afrique noire
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Anthropos 92.1997
porte un apaisement dans des situations de trouble
social et d’existence difficile. En tant que mou
vements de chasse aux sorciers, les messianismes
sont l’indice de la peur d’une crise. Ils répondent
à l’angoisse par une forte sociabilité. Insatisfaits
d’un christianisme inadapté, beaucoup d’Africains
trouvent dans certaines Eglises moins institution
nalisées que la catholique une vie communautaire
chaleureuse et plus intense, les femmes peuvent y
accéder à un rôle dirigeant.
Les recherches en cours d’Albert de Surgy et de
Jean-Claude Barbier (exposés oraux au laboratoire
CNRS d’Ivry) montrent bien l’effervescence ac
tuelle, comportant création de beaucoup d’Eglises
indépendantes et fermeture de quelques unes dans
la région du Bénin et du Nigeria. Traits habituels
de ces Eglises: les visions, exorcismes, rejet des
fétiches, inculturation, gratification psychologique,
aspect pentecôtiste et charismatique. Le côté fon
damentaliste de la croyance l’emporte sur le syn
crétisme mythique et rituel non perçu par le fidèle.
Ces Eglises sont plus des centres d’éducation que
des lieux de refuge. La vie charismatique y importe
plus que la doctrine. Point de heurts marqués avec
les Etats qui, non seulement tolèrent ces groupes,
mais bénéficient de leurs activités d’éducation, de
soins et d’animation sociale!
Pour l’Afrique centrale et l’Afrique au Sud,
Bennetta Jules-Rosette (1979) a plusieurs fois
souligné le cap nouveau pris par des Eglises
qui représentent près de 25 % de la chrétienté de
ces régions à la veille du second millénaire:
renforcement de l’institutionnalisation, effacement
des barrières ethniques et sociales, vitalité cul
turelle et politique, variété des formes locales,
réinterprétation des Ecritures, tentatives de co
dification théologique, officialisation des Eglises,
tels en sont les traits principaux. La majorité
des fidèles généralement pacifistes apparaît favo
rable aux changements économiques et ne po
se pas de problèmes politiques, sauf quelques
répressions passagères mal subies par les kimban-
guistes zaïrois. Si le mouvement apostolique valo
rise le statut de la femme, il souffre de quelques
scissions internes. En définitive, sont désormais
périmées les représentations des religions messia
niques comme mouvement et monoethniques et de
protestation politique. Les migrants africains ont
même transporté en Europe et en Amérique leurs
adhésions religieuses. Rien ne laisse cependant
présager que les Eglises africaines construiront un
troisième testament après l’ancien et le nouveau.
5 Conclusion
En résumé, quels que soient les Etats, une intense
mobilisation religieuse se manifeste à travers des
inventions organisationnelles, un accroissement de
la piété, des mouvements associatifs et caritatifs.
Dans une Afrique profondément religieuse, les
réorientations actuelles révèlent la séduction du
Livre, le besoin d’authenticité et d’inculturation,
un cumul d’allégeances pluralistes et une inscrip
tion dans la mondialité tandis que déclinent les
attachements aux religions traditionnelles.
Mais traiter en bloc de l’Afrique noire ne
permet guère de donner des réponses précises
aux questions suivantes que devraient affiner des
études précises de cas. Pour des recherches ulté
rieures, je me permets de faire surgir un certain
nombre d’interrogations qui marquent les limites
de ce rapide aperçu. Comment les comportements
politiques sont-ils liés à des attitudes religieuses?
Quelle est la place du religieux dans l’espace
politique et inversement le poids du politique sur
les institutions religieuses? Si entre le religieux et
le politique les logiques s’enchevêtrent, comment
l’interaction religion-politique est-elle productrice
de sens? Y a-t-il des corrélations entre les degrés
du croire en religion et en politique? Même sans
comporter nécessairement un sens politique, les
pratiques religieuses sont-elles simultanément des
pratiques politiques? Quelle est la religion des
hommes politiques? Existe-t-il à des degrés divers
soit une religion civile (ce qu’à montré Rosalind
Hackett à propos du Nigeria en 1991), soit des
liturgies politiques?
Références citées
Bach, Daniel
1986 Le Nigeria contemporain. Paris: CNRS.
Bayart, Jean-François (éd.)
1993 Religion et modernité politique en Afrique noire. Dieu
pour tous et chacun pour soi. Paris: Karthala.
Chrétien, Jean-Pierre
1993 Introduction: La gestion culturelle des contacts avec
le monothéisme. In: Jean-Pierre Chrétien (éd.), L'in
vention religieuse en Afrique. Histoire et religion en
Afrique noire; pp. 237-240. Paris: Karthala.
Coulon, Christian
1991 Religion et politique. In: Christian Coulon (éd.), Les
Afriques politiques; pp. 87-105. Paris: Karthala.
1993 Les itinéraires politiques de l’islam au Nord-Nigeria.
In: Jean-François Bayart (éd.), Religion et modernité
politique en Afrique noire. Dieu pour tous et chacun
pour soi; pp. 19-62. Paris: Karthala.