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Croyances des Toungouses de Chine
ônth
lro Pos 86.1991
W. Eberhard (1968: 260) indique que les Toungou
ses sont «les éleveurs de porcs typiques de l’Ex
trême-Orient». Les vestiges archéologiques du 2e
millénaire avant notre ère démontrent l’importance
de ces animaux dans la vie alimentaire et religieuse
des populations du bassin de l’Amour (Hambis
1965; 54). Actuellement, le porc est encore très
fréquemment élevé en enclos dans cette région. On
sait que la viande de chien y est appréciée, sans
doute plus qu’ailleurs en Chine (Lemoine 1978:
742; Torii 1914: 16 n. 10; Shirokogoroff [1929]
1966: 50).
La langue agglutinante fait partie du groupe
altaïque, comme le turk ou le mongol, et plus
précisément de la branche toungouse-mandchoue.
La famille toungouse proprement dite comprend
le golde ou nanaï (chinois hezhe), l’évenk (chinois
ewenke), l’orocon (chinois elunchun), le lamoute
(inconnu en Chine) qui - à cette dernière excep
tion près - sont parlés de part et d’autre de la
frontière soviéto-chinoise. L’ewenke et l’elunchun,
numériquement les plus importants, comportent
e nx-mêmes plusieurs dialectes dont les locuteurs
elairsemés se situent entre le sud de la ligue du
Lulunbeir chinois et le nord de la Toungouska
soviétique. 9 Ces langues sont restées sans écriture
jusqu’à ces dernières années. En 1936, G. M. Va-
sdevic adopte la transcription latine du toungouse
mis e au point dans les années vingt, mais celle-ci
est abandonnée en URSS après 1937 au profit de
1 alphabet cyrillique. La Chine choisit à l’heure
actuelle l’alphabet latin, mais il n’est pas certain
4ue les caractères chinois ne finissent pas par
1 emporter pour les mêmes raisons qu’en Union
Soviétique. 10
Il y aurait actuellement près de 13 000 Ewen-
ke> 3 000 Elunchun et sans doute 800 Hezhe. Mais
9 Sinor 1948: 66, 67; Beffa, Delaby et Hamayon 1977: 33.
Le classement nord-sud, voire nord-sud-est, dans les lan
gues toungouses ne recouvre guère la situation actuelle de
la Chine. Disons simplement que les Ewenke se situent
au jourd’hui dans le sud de la ligue du Hulunbeir, les
Elunchun au nord et les Hezhe (Goldes) dans le nord-est
du Heilongjiang.
Voir Vasilevic 1936 (ouvrage très riche en contes et légen
des des Ewenke soviétiques), de même qu’Anisimov 1936.
Actuellement, le meilleur dictionnaire disponible est dû
à Cincius (1977; 2 vol.) qui, comme son titre l’indique,
re groupe le vocabulaire de la plupart des langues de la
branche toungouse-mandchoue. Notons encore, parmi les
travaux en langue russe, l’ouvrage réédité d’Ivanovskij
[1894] 1982. En Chine, un dictionnaire élémentaire toun-
gouse-chinois est en cours de compilation, sous la direction
° e Mme Ao Denggua. Pour l’heure, on ne dispose que de
m aigres lexiques semblables à celui de Sa Xirong (1981)
(transcription latine de la langue elunchun).
ces chiffres sont évidemment sujets à caution, dans
la mesure où ces régions se prêtent mal à un recen
sement aisé comme en connaissent les aggloméra
tions urbaines ou les villages de la campagne chi
noise centrale. On sait qu’en matière de contrôle
des naissances, la politique du gouvernement de
Pékin est beaucoup moins rigoureuse envers les
minorités numériquement faibles qu’à l’égard des
Chinois proprement dits. Cette attitude correspond
à la fois à un souci culturel, mais aussi économique
et politico-stratégique (ces populations vivent dans
des zones frontières sous-peuplées). 11 Elles sont
disséminées sur un territoire presque aussi étendu
que la France et, à l’exception de quelques gros
bourgs de modeste importance, elles restent essen
tiellement fixées dans de petits villages ou dans
des habitations isolées d’accès difficile.
Le costume traditionnel toungouse s’apparen
te assez à la robe mongole. Il est teint de couleurs
vives (bleu ou vert), tant pour les hommes que
pour les femmes (fréquemment rose ou rouge,
parfois orangé). La robe se croise et s’attache
à droite, sans distinction de sexe, et s’orne en
lisière et au col d’une bande de tissu, parfois
brodée chez les femmes. Une large ceinture de
toile enserre le ventre et fait blouser la robe à la
taille. Elle semble être la forme dégénérée d’une
«pièce d’estomac» décrite au début de ce siècle
par les ethnographes occidentaux. 12 * * * Il est probable
que ces dernières décennies ont vu une tendance
à l’uniformisation vestimentaire, les Toungouses
subissant l’influence de leurs voisins mongols et
des populations han arrivées en masse au cours des
années soixante. L’influence mongole et chinoise
se traduit également chez les hommes au niveau
du couvre-chef: la casquette et le chapeau mou
occidentaux remplacent peu à peu le bonnet pointu
de feutre ou de peau dont les bords se replient
largement vers le sommet de la tête.
11 Ma Xueliang (1980: 290, 316, 337) propose des estimations
relativement récentes qui traduisent une certaine augmenta
tion de la population par rapport aux chiffres de 1957 (2400
Elunchun, 600 Hezhe) ou de 1953 (2262 Elunchun, selon
Qiu Pu 1981: 2).
12 Jettmar (1951: 196), reprenant ces informations, y voit les
restes d’un tablier; cette «pièce d’estomac» serait, selon
lui, typique du costume toungouse. Certaines ethnies toun
gouses, tels les Hezhe, ont utilisé des vêtements en peaux
de poisson ou d’oiseau (Wu Bing’an 1985: 85 s.; Lemoine
1978: 747; Leroi-Gourhan 1946; 41; Shirokogoroff 1926:
131). Wureertu et Huang Guoguang (1981: 25, 57) signalent
encore cette coutume vestimentaire; il ne semble pas -
selon plusieurs informateurs - qu’elle soit toujours répan
due parmi les Ewenke. L’ours et le cerf fournissent une
contribution appréciée en ce domaine.