Religion et politique en Afrique noire
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Anthropos 92.1997
nouvelle foi ne se fasse guère sans négociation,
traduite moins par le rejet de l’ancien que par
sa réinterprétation et parfois par des allers-retours.
Au Bénin, les cultes vodun refleurissent quand le
président Kerekou, récemment marxisé, s’y op
pose et veut imposer de 1972 à 1976 l’idéologie
marxiste-léniniste. Un revirement s’opère en 1979,
quand le régime cherche à se protéger de ses
échecs par appel aux féticheurs auxquels il donne
trois sièges à l’Assemblée nationale. Personelle-
ment Kerekou, lui, fait appel à des marabouts
islamiques notamment maliens, au point d’être
désigné comme un sorcier par son peuple au lieu
d’être tenu pour le roi sacré habituel en royaume
fon et yoruba. Mais rien que de normal ! Il était de
l’ethnie guerrière des Somba longtemps opposée
aux Fon qui y razziaient des esclaves. Avec la
chute du communisme à l’Est, le marxisme a fini
d’être pour l’Afrique un substitut de religion de
salut.
3 Spécificités contemporaines
3.1 Hypothèses à vérifier
La mobilisation religieuse de l’Afrique s’inscrit
certes dans une histoire longue, mais aussi et
surtout dans une actualité marquée par les mu
tations religieuses dont il importe de souligner les
tendances fortes: d’une part la conversion aux reli
gions de salut démographiquement lourdes (islam,
christianisme); d’autre part la fragmentation
des Eglises indépendantes en micro-communautés
sécurisantes. Par delà ce constat, de multiples
questions se posent qui ne seront traitées que
sommairement mais que l’on peut résumer ainsi:
1) Puisqu’il y a adoption d’éléments extérieurs
à l’Afrique, comment agissent les importations
de type religieux, et quel est le poids respectif
des révélations: celles du Livre, Bible ou Coran,
et celles individuelles des prophètes autochtones
dans un contexte d’oralité? 2) La référence iden
titaire apparaît capitale qui, par exemple, pose
le problème de l’inculturation du christianisme,
mais s’agit-il du simple retour à des valeurs de
l’Afrique en général ou bien de cristallisations sur
l’ethnicité? 3) Comme l’Afrique s’adapte à des
sociétés nouvelles, y a-t-il au sein de ces sociétés
de type étatique, pluralisme religieux accepté,
conflits entre religions et/ou cumul d’allégeances
diverses même religieuses? Comment les ci
toyens réagissent-ils au modèle de laïcité occiden
tale adopté dans les constitutions de nombreux
Etats? 4) Parmi les crises qu’ont à vivre les
sociétés africaines, comment réagit-on au mouve
ment actuel de démocratisation, aux flux transna
tionaux et aux théologies de la libération? 5) La
vitalité des religions du salut n’est-elle pas l’autre
face de la déliquescence des religions traditionnel
les?
3.2 Des révélations
Le rapide aperçu historique a montré l’importation
en Afrique noire des religions islamiques et chré
tiennes. L’islam s’intégre sans heurt en raison de
la profondeur historique qu’on lui suppose dans le
continent, du prestige d’imams ayant lutté contre
la colonisation, de convergences culturelles avec
l’Afrique traditionnelle (polygamie, ritualité, sacri
fices), de son action d’amélioration des conditions
de vie (hygiène, vêtement, nourriture, techniques
artisanales, commerce ...). Quant au christianis
me marqué par des accointances coloniales, il a
assuré la promotion sociale et la mobilité ascen
dante de valeureux fidèles; il a pris le parti de
l’africanisation de ses cadres; il s’est révélé un
canal de modernisation dynamique et souvent une
protection contre des autoritarismes. Mais les reli
gions importées ont quelque peu été contaminées,
non pas au niveau du dogme mais des attitudes
du quotidien par des animismes qu’elles ont voulu
recouvrir sans réussir à les détruire.
Certains croient naïvement au prestige de “la
révélation” en pensant seulement aux religions du
Livre, ce qui n’est pas tout-à-fait faux, mais qu’on
se dise bien que pour l’Africain toute religion est
considérée comme étant l’objet d’une révélation:
révélation par un rêve, un oracle, la divination, la
transe, ou par une inspiration diurne estimée être la
voix d’un esprit parlant au cœur pur. Qu’en fut-il
de Moïse ou de Mahomet dans des civilisations
de leur époque à dominante orale; puis de Luther
et de Calvin? En fait, c’est moins la révélation
qui fait la différence dans l’effet de séduction,
que l’écriture, estimée être la porte du savoir
moderne.
3.3 Authenticité versus importation
La dichotomie religion authentique de l’Afrique/
religion d’importation devient désormais sans per
tinence tant se produisent de montages, de bri
colages et de rafistolages des unes et des autres
au grand dam des gardiens de l’orthodoxie. Les
syncrétismes non organisés au sein du christianis
me et de l’islam, ou bien organisés en Eglises,