Berichte und Kommentare
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Anthropos 92.1997
l’ethnie; il aura choisi cette famille comme cadre
de sa nouvelle vie parce qu’elle avait été bonne
envers lui précédemment. Parfois aussi, c’est un
ami qui veut revenir dans la descendance de son
ami. Au moment de la mort, on peut exprimer
le désir de revivre chez telle ou telle personne,
et Dieu exaucerait ce désir. Par exemple, si une
jeune femme a été compatissante pour une vieille
femme abandonnée par les siens, celle-ci peut la
remercier en disant qu’après sa mort elle viendra
se réincarner dans le sein de sa bienfaitrice.
Quand le devin a trouvé qui était revenu, on
met de la cendre dans la main du nouveau-né,
trois fois dans celle du garçon, quatre fois dans
celle de la fille, en disant que si on s’est trompé
dans l’identification du défunt, celui-ci ne doit pas
se fâcher et provoquer la mort de l’enfant. Le bébé
est placé sous les mêmes protections magiques
que son prédécesseur. Si celui-ci dépendait par
exemple de l’esprit du marigot, on mettra au
poignet de l’enfant le bracelet symbole matériel
du marigot. Parfois, quand l’enfant sera devenu
grand, il ira sacrifier au marigot sur le conseil du
devin pour savoir s’il n’y a pas eu d’erreur dans
l’établissement de son identité.
Les résultats de la première consultation sont
gardés ultra-secrets, de façon à ce que les ennemis
éventuels du défunt ignorent son retour et ne
cherchent pas à se venger de lui sur la personne du
bébé. Pour la même raison, il sera toujours appelé
d’un nom différent de celui du mort.
On ne doit jamais dire à un bébé qui il
réincarne, sinon le mirriki se fâcherait et reparti
rait, provoquant la mort de l’enfant. On le lui dira
beaucoup plus tard, quand il sera assez grand. On
ne parle pas des défunts devant un bébé pour qu’il
ne risque pas d’entendre son nom par hasard, car
cela suffirait à le faire mourir. Si on veut vraiment
en parler, on lui dit d’abord de ne pas écouter ce
que l’on va dire!
Lors de la grande initiation au Do, on lui
donnera un nom d’initié porté par un de ses
ancêtres, mais jamais celui du revenant. Si une
enfant pleure beaucoup et empêche sa famille de
dormir, sa grand-mère la menacera de se réincarner
plus tard dans sa progéniture et de la tenir à son
tour éveillée par ses cris.
Chez les Toussian on raconte partout une
histoire qui amuse les gens. Dans le quartier
Buko de Yérokofasso, tous les habitants avaient
demandé à Dieu de ne plus mourir et accepté pour
cela de ne plus avoir d’enfants. Dieu acquiesça.
Au début, ils furent très contents, ils vieillissaient
sans mourir, mais ils ne pouvaient plus travailler et
ils avaient faim. Alors ils supplièrent Dieu de les
ramener à la règle commune; ils eurent des enfants
et ils moururent. Et on conclut en riant qu’il ne faut
pas changer l’ordre établi par Dieu!
Un enfant peut revenir successivement deux,
trois, quatre fois ... chez la même mère, parce
qu’il l’aime, mais il la quitte parce que quelque
chose ne lui plaît pas dans la famille. Il y a des
noms spéciaux pour les bébés qui suivent de nom
breux aînés morts en bas âge: par exemple Kewen-
togo, “enfant ramassé”. En effet, une femme dont
les enfants meurent sans cesse va aller déposer son
dernier né sur la route. La première personne qui
le voit le ramasse et le rend à sa mère. Notons que
s’il s’agit d’une fille, elle est fiancée ipso facto à la
famille de celui qui l’a trouvée. La mère se réjouit
car elle pense que dorénavant son enfant va vivre
grâce à la protection des génies de l’homme qui
l’a recueilli. Si un jour l’enfant tombe malade, on
le remet à cet homme car il lui appartient, à lui de
le soigner.
Après des décès répétés, la mère peut aussi
confier son nouveau-né aux forgerons, aux bala-
fonistes etc. On appelera l’enfant Karfa, “enfant
confié”. Ce nom, devenu toussian, semble avoir
une origine dioula: Kalifa.
Un enfant chétif sera nommé Tégué: “chétif’.
On lui fait passer la nuit tout seul dans le pou
lailler 16 et on verse de la cendre devant la porte.
Si le lendemain on n’y distingue pas de traces de
pieds enfantins, c’est qu’il est un enfant humain:
il a une chance de vivre et on le ramène dans sa
case. S’il y en a, c’est qu’il s’est promené la nuit,
preuve qu’il n’est pas un humain mais un génie
(setô). Alors, on le laisse mourir.
Une fille chétive sera surnommée Kenapenâ,
ce qui signifie “On ne sait pas si elle vivra
ou non”. Ce nom veut dire également: “Dieu
Incompréhensible”.
Certains enfants qui meurent en bas âge sont
parfois identifiés par le devin comme des génies
(setô). Pour les dégoûter de se réincarner dans
la même famille, on maltraite leur cadavre, on
enduit leur corps de potasse, parfois on les flagelle
avec des épines, on les traîne par terre jusqu’à
leur tombe. Aucune idée de punition n’entre dans
ces agissements, mais seulement le désir de les
faire changer de comportement. De même, aux
funérailles d’un pauvre, on lui souhaite tout haut
de se réincarner dans une famille riche. On lui
fait des cadeaux, pour qu’il possède des biens non
pas tant au lekokul que dans sa vie future. A ceux
qui ont eu une vie malheureuse ou une mauvaise
16 Nous l’avons vu une fois.