Art et histoire des Luba méridionaux
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Anthropos 100.2005
D’après Roberts (1998:64), les missionnaires
européens relevaient généralement plus d’infor
mations sur les objets qu’ils récoltaient sur place
que ne le faisaient les fonctionnaires coloniaux. Ils
demeuraient souvent pendant de longues périodes
sur le territoire luba et s’intéressaient intensément
à la culture locale. Ainsi, des missionnaires comme
Pierre Colle, William Burton et Theodoor Theuws
ont rédigé de très intéressantes monographies sur
divers aspects de la culture, de l’histoire et de l’art
des Luba. Le travail du Père Peeraer, bien que peu
connu, mérite certainement de compter parmi ces
sources précieuses. 3
Les Collections ethnographiques de 1 Université
de Gand contiennent quelques objets inédits récol
tés chez les Luba-Shyankadi de la République
Démocratique du Congo par le Père Servaas Pee
raer dans les années 1930. Ces sculptures, qui, du
point de vue stylistique, sont assez différentes des
objets d’art luba les plus célèbres des collections
occidentales, sont bien documentées grâce à des
données contextuelles de première main.
Servaas (ou Servatius) Peeraer a vécu pendant
plus de dix années parmi les Luba du Katanga, en
tant que missionnaire de l’ordre belge des Francis
cains (Frères mineurs, OFM, ou, en néerlandais,
“Minderbroeders”). Outre les articles ethnogra
phiques qu’il a écrits, il a également récolté un cer
tain nombre d’objets d’art, dont quelques-uns sont
aujourd’hui conservés dans les Collections eth
nographiques de l’Université de Gand ( Etnogra-
fische Verzamelingen van de Universiteit Gent ).
Tout comme les objets que Peeraer a récoltés pour
le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC)
à Tervuren, ceux de l’Université de Gand sont
accompagnés de notes de terrain documentant le
contexte culturel de leur usage.
Né le 27 août 1903 à Ravels-Eel et baptisé Gus-
taaf, le Père Peeraer est arrivé au Congo en 1929 et
y a travaillé jusqu’à sa mort précoce le 9 juin 1940,
à La Rochelle, en France. Résidant à la mission
de Lwabo, au sud de Kamina, il était surtout actif
parmi les Luba du sud, dans les territoires de Mato,
de Kinda et de Kafakumba, dans le centre-ouest
de l’actuelle province du Katanga (voir carte).
3 Dans un article consacré aux photos prises par le Révérend
William Burton au Congo belge entre 1930 et 1940 pour
le Département des études bantoues de 1 Université du
Witwatersrand à Johannesbourg, Godby (1993) développe
les dimensions politiques et sociales de 1 œuvre des
missionnaires et les liens étroits entre ces derniers et
l’administration coloniale (voir aussi Nettleton et al. 1992).
Vu la rareté des informations disponibles, il est pour e
moment impossible d’analyser le travail du Père Peeraei e
la même façon.
Ce groupe de Luba est également présenté sous
sa plume comme Luba-Samba, ou comme Luba-
Shankadi, -Shyankadi ou -Shankaji, appellation
qui, dans la littérature, est généralement donnée
à tous les Luba centraux du Katanga, afin de les
distinguer des Luba Orientaux ou Luba-Hemba et
des Luba Occidentaux ou Luba-Kasaï. Le terme
shyankadi, souvent utilisé pour les salutations, re
flète le respect et la politesse (Peeraer 1934a: 20;
Nooter 1990: 35, 46, n. 2). Dans le domaine de l’art
plastique, les Luba-Shyankadi sont surtout connus
pour leur coiffure “à cascade”, qui se retrouve sur
plusieurs sculptures (de Maret, Dery et Murdoch
1973: 14 s.; cf. infra).
Peeraer livre des informations ethnographiques
très pertinentes dans ses articles “Enkele benamin-
gen voor het Opperwezen bij de Baluba-Shankaji”
(1934a; Quelques appellations de l’Etre suprême
chez les Luba-Shyankadi), “Dood en onderwereld
bij de Baluba Shankadi” (1936; Mort et infra-
monde chez les Luba-Shyankadi) et “Toespraken
tôt jonggehuwden bij de Baluba (Katanga)” (1939;
Recommandations aux jeunes mariés chez les
Luba du Katanga), parus dans les revues Kongo-
Overzee, ainsi que “Gouwzang der Bene-Lupulu”
(1938; Chants du terroir chez les Bene-Lupulu),
publié dans la revue Congo. Dans le premier
article, il explique notamment la distinction entre
trois catégories d’esprits, à savoir les bavidye,
bakishi et bafu (Peeraer 1934a: 24 s.). 4 Dans le
second, il traite de l’inframonde kalunga et des
pratiques funéraires dont quelques-uns des usages
seront d’ailleurs étudiés plus en profondeur par
Theuws dans “Le styx ambigu” (Peeraer 1936;
197-202; Theuws 1968). Les deux derniers ar
ticles mentionnés fournissent de nombreux rensei
gnements originaux sur la vie au village. Ajoutons
à cette liste un dernier article particulièrement in
formatif de Peeraer, signé “P. Servatius” et pu
blié en 1932 dans la revue Anthropos, qui traite
de la circoncision mukanda des Luba, long rituel
initiatique qui n’était pratiqué que dans l’extrême
sud-ouest de leur ancien royaume. 5 *
4 Petit (2000) a confirmé la pertinence de cette classification
qui se traduit notamment dans la typologie des espaces
rituels.
5 Theuws (1960) a repris dans son article “Naître et mourir
dans le rituel luba” les informations fournies par Peeraer.
Des données succinctes sur le même sujet ont également été
publiées dans un article de Nennen (1927:373 s.) et dans
le livre de Amaat Burssens (1943), qui résume les résultats
d’un voyage d’étude entrepris en 1937 auprès des Luluwa
et des Luba du Kasaï et du Katanga. Peeraer a également
publié quelques textes sur la danse et le chant luba dans la
revue Bulletin des Amis de l’Art Indigène du Katanga.