Anthropos
101.2006: 413-427
Des sites sacrés à incendier
Feux rituels et bosquets sacrés chez les Bwaba du Burkina Faso
et les Bassar du Togo
Stéphan Dugast
Abstract. - Many West African societies, notably in the voltaic
cultural area, light ritual bush fires every year in places strictly
reserved for this purpose. Although widespread amongst the
re gion’s societies, the phenomenon is little researched. Yet, this
Practice is of primary importance in local rituals and social
0r ganisations and reveals local representations of nature. This
ar ticle is based on a comparative study carried out among
lvv ° societies separated by several hundred kilometres. The
^udy documents variants and constants of this cultural practice.
I Burkina Faso, Togo, Bwaba, Bassar, ritual bush fires, sacred
% r °ves, sacred kingship, nature/society relations]
^cphan Dugast est ethnologue à l’Institut de recherche pour
e développement, affecté au Muséum National d’Histoire Na
celle, à Paris. Responsable de l’équipe “Comparaison des pra-
lc lUes rituelles et des représentations liées à la constitution des
crritoires” de PUR 026 de 1TRD (Patrimoines et Territoires),
Puis du chantier “Sites sacrés naturels” de TUR 169 de 1TRD, il
effectué de longues recherches de terrain principalement chez
s Bwaba du Burkina Faso et chez les Bassar du Nord-Togo,
^es recherches l’ont conduit également à étudier les systèmes
® classes d’âge et de génération des sociétés lagunaires de Côte
v oire. Publications : voir références citées.
Propos de sites sacrés “naturels”, 1 on a coutume
tt e parler de la “protection” dont ils font l’objet,
Protection” qui serait assurée notamment dans un
^ a dre rituel par l’application d’interdits sur la coupe
u bois ou sur toute autre forme de prélèvement. On
^ st Bfoins familiarisé avec l’idée d’une autre gestion
e tels sites, gestion qui, dans certains cas, s’ap-
P ar ente à une forme de “destruction” périodique
ü couvert végétal de lieux pourtant tout aussi sa-
res que les précédents. C’est un tel exemple que
je voudrais présenter ici, en examinant le cas des
feux rituels que certaines populations africaines
pratiquent chaque année sur des sites sacrés dont
c’est la vocation.
D’emblée, un tel exemple impose d’introduire
la question de savoir dans quelle mesure de tels
sites sacrés sont vraiment naturels. S’agissant de
ceux qui sont soumis à un acte aussi destructeur
en apparence qu’une mise à feu, on se devrait de
réfuter l’adéquation d’un tel attribut et ne le réser
ver qu’aux seuls bois sacrés, lieux dont le maintien
à l’état naturel serait sans conteste garanti par la
protection vigilante dont ils bénéficient.
La vision que certaines populations africaines
ont de leurs sites sacrés “naturels” ne semble néan
moins pas laisser place à une telle dichotomie, op
posant le caractère véritablement naturel des sites
perpétuellement “protégés” au caractère altéré de
ceux périodiquement “détruits”. L’examen du cas
des Bwaba du Burkina Faso fournira la principale
illustration d’un mode de pensée construit tout au
trement. Un autre exemple, celui des Bassar du
Togo, permettra tout à la fois de confirmer l’analyse
du cas burkinabé et d’entrevoir le champ des va
riables qui structurent un tel mode de pensée. Chez
1 Le sujet qui est abordé dans ce texte a d’abord été traité
à l’occasion d’un symposium organisé en septembre 1998
dans le cadre de FUNESCO, et ayant pour thème “Les sites
sacrés naturels” (Dugast 1998). Plusieurs enquêtes de terrain
ultérieures ont, depuis, permis de l’enrichir notablement.